Futbol. Le ballon rond de Staline à Poutine

Trop grande, trop froide, trop isolée, la Russie n'était pas faite pour le football. Et pourtant, dès qu'il a rebondi sur la terre russe, le ballon rond a fait mieux que s'acclimater. Il est devenu l'objet d'une fièvre populaire que le Kremlin, de Staline à Poutine, cherche à instrumentaliser.
Trop grande, trop froide, trop isolée, la Russie n'était pas faite pour le football. Et pourtant, dès qu'il a rebondi sur la terre russe, le ballon rond a fait mieux que s'acclimater. Il est devenu l'objet d'une fièvre populaire que le Kremlin, de Staline à Poutine, cherche à instrumentaliser.

Beria était le patron du KGB, mais aussi le parrain des équipes du Dynamo de Moscou et Tbilissi, faisant de ces clubs les instruments d'une lutte sans merci contre " l'équipe du peuple ", celle du Spartak Moscou. Pendant des décennies, deux clans se sont affrontés et tous les coups étaient permis, jusqu'à la déportation au Goulag des meilleurs joueurs de l'équipe adverse.
En Russie, le football est un sport de combat politique : dès les premières rencontres à Saint-Pétersbourg qui avaient de furieux airs de lutte des classes ; lors du " match de la mort " du 9 août 1942, opposant Ukrainiens du FC Start et nazis de la Luftwaffe ; dans la façon dont le régime mit en scène ses vedettes comme Lev Yachine ; avec le football " scientifique " qui conquit le monde pendant la guerre froide ; dans le rapport qu'entretiennent les oligarques avec ce sport, et jusqu'à l'organisation éminemment politique du Mondial 2018.
Fourmillant d'anecdotes mettant en scène grands leaders et champions soviétiques, ce livre raconte davantage qu'un siècle de football : il décrypte le pouvoir russe à travers le prisme du ballon rond.

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Futbol. Le ballon rond de Staline à Poutine

Trop grande, trop froide, trop isolée, la Russie n'était pas faite pour le football. Et pourtant, dès qu'il a rebondi sur la terre russe, le ballon rond a fait mieux que s'acclimater. Il est devenu l'objet d'une fièvre populaire que le Kremlin, de Staline à Poutine, cherche à instrumentaliser.
Trop grande, trop froide, trop isolée, la Russie n'était pas faite pour le football. Et pourtant, dès qu'il a rebondi sur la terre russe, le ballon rond a fait mieux que s'acclimater. Il est devenu l'objet d'une fièvre populaire que le Kremlin, de Staline à Poutine, cherche à instrumentaliser.

Beria était le patron du KGB, mais aussi le parrain des équipes du Dynamo de Moscou et Tbilissi, faisant de ces clubs les instruments d'une lutte sans merci contre " l'équipe du peuple ", celle du Spartak Moscou. Pendant des décennies, deux clans se sont affrontés et tous les coups étaient permis, jusqu'à la déportation au Goulag des meilleurs joueurs de l'équipe adverse.
En Russie, le football est un sport de combat politique : dès les premières rencontres à Saint-Pétersbourg qui avaient de furieux airs de lutte des classes ; lors du " match de la mort " du 9 août 1942, opposant Ukrainiens du FC Start et nazis de la Luftwaffe ; dans la façon dont le régime mit en scène ses vedettes comme Lev Yachine ; avec le football " scientifique " qui conquit le monde pendant la guerre froide ; dans le rapport qu'entretiennent les oligarques avec ce sport, et jusqu'à l'organisation éminemment politique du Mondial 2018.
Fourmillant d'anecdotes mettant en scène grands leaders et champions soviétiques, ce livre raconte davantage qu'un siècle de football : il décrypte le pouvoir russe à travers le prisme du ballon rond.

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Trop grande, trop froide, trop isolée, la Russie n'était pas faite pour le football. Et pourtant, dès qu'il a rebondi sur la terre russe, le ballon rond a fait mieux que s'acclimater. Il est devenu l'objet d'une fièvre populaire que le Kremlin, de Staline à Poutine, cherche à instrumentaliser.
Trop grande, trop froide, trop isolée, la Russie n'était pas faite pour le football. Et pourtant, dès qu'il a rebondi sur la terre russe, le ballon rond a fait mieux que s'acclimater. Il est devenu l'objet d'une fièvre populaire que le Kremlin, de Staline à Poutine, cherche à instrumentaliser.

Beria était le patron du KGB, mais aussi le parrain des équipes du Dynamo de Moscou et Tbilissi, faisant de ces clubs les instruments d'une lutte sans merci contre " l'équipe du peuple ", celle du Spartak Moscou. Pendant des décennies, deux clans se sont affrontés et tous les coups étaient permis, jusqu'à la déportation au Goulag des meilleurs joueurs de l'équipe adverse.
En Russie, le football est un sport de combat politique : dès les premières rencontres à Saint-Pétersbourg qui avaient de furieux airs de lutte des classes ; lors du " match de la mort " du 9 août 1942, opposant Ukrainiens du FC Start et nazis de la Luftwaffe ; dans la façon dont le régime mit en scène ses vedettes comme Lev Yachine ; avec le football " scientifique " qui conquit le monde pendant la guerre froide ; dans le rapport qu'entretiennent les oligarques avec ce sport, et jusqu'à l'organisation éminemment politique du Mondial 2018.
Fourmillant d'anecdotes mettant en scène grands leaders et champions soviétiques, ce livre raconte davantage qu'un siècle de football : il décrypte le pouvoir russe à travers le prisme du ballon rond.


Product Details

ISBN-13: 9782370731715
Publisher: Allary éditions
Publication date: 05/31/2018
Sold by: EDITIS - EBKS
Format: eBook
Pages: 179
File size: 11 MB
Note: This product may take a few minutes to download.
Language: French

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CHAPTER 1

"The show must go on"

Le football avant la révolution rouge

Ça a commencé par un grand rire. Pensez donc, deux équipes de dix benêts en tenue blanche immaculée se disputant avec les pieds une balle de cuir sur un terrain couvert de boue, histoire d'assurer le spectacle. Les vingt « volontaires » devaient sortir du terrain « noirs comme des ramoneurs ». Tel était le but! Ce 12 septembre 1893, la « Société des cyclistes amateurs » de Saint-Pétersbourg, capitale de l'empire russe exhibant ses palais à l'italienne couchés le long de la Neva et ses innombrables canaux, a imaginé un entracte divertissant entre deux courses de vélos sur la place Semionov, laquelle avait été le théâtre de grandes processions politiques ou de pendaisons publiques, et venait d'être transformée en « tsyklodrom » (« cyclodrome », autrement dit vélodrome). Le football pouvait faire l'affaire pour cet intermède: il avait le mérite de la nouveauté. Mais ce qui reste pour certains comme le premier match organisé pour un public dans l'histoire du football russe n'a fait que provoquer l'hilarité. Drôles de débuts!

Ce 12 septembre 1893, malgré les escadrons de nuages gris qui se sont amassés place Semionov, des milliers de Pétersbourgeois sont tout émoustillés après avoir suivi une course haletante entre un cycliste et une troïka, ce genre de voiture tirée par trois chevaux dont sont remplis les romans de Tolstoï. Et c'est le deux-roues qui l'a emporté, comme un passage de témoin symbolique entre l'ancien temps et la modernité. Après tant d'excitation, il fallait bien un intermède léger, histoire de reprendre ses esprits voire quitter quelques instants la tribune où canotiers côtoient chapeaux de feutre et casquettes de prolo, pour se dégourdir les jambes ou engloutir un pirojki, ces petits pains farcis à la viande ou aux légumes.

En cette fin de XIX siècle, le cyclisme suscite l'engouement des Russes, lesquels découvrent avec retard l'industrialisation, l'urbanisation, le capitalisme, l'individualisme, et donc le sport. Le vélo, symbole de modernité, tout mouvement, tout vitesse, tout couleur. Pour bien lancer la mode de la « petite reine » et doper leurs ventes, les marchands de bicyclettes maqués avec les « sociétés » de cyclistes amateurs offrent de plus en plus souvent au peuple ces nouveaux jeux du cirque, construisant pour l'occasion des vélodromes à travers l'immense pays, avec piste relevée et tribunes couvertes que l'on remplit de spectateurs contre un billet de 15 kopeks seulement. En un mot, ce sont de vrais entrepreneurs de spectacles qui lancent le sport dans l'empire du Tsar, sentant d'instinct tout l'intérêt commercial de cette activité dont le mot et la pratique font tout juste leur apparition sur la terre russe.

Une semaine plus tard, les « imprésarios » des courses de la place Semionov proposent à nouveau l'intermède footballistique. Mais cette fois, le public s'ennuie. Il grogne, boude, hue. C'est du vélocipède qu'il veut! Il n'y aura plus de football aux entractes des courses de vélo. Il faut dire que le ballon rond n'est encore qu'une bizarrerie en Russie. Il n'y a rebondi pour la première fois qu'une quinzaine d'années plus tôt, amené par des matelots et des industriels britanniques, comme cela avait été le cas au Havre, à Buenos Aires ou à Gênes. Car en Russie aussi, c'est par les ports que le football s'invite. À commencer par Saint-Pétersbourg, cette « fenêtre sur l'Occident » fondée par Pierre le Grand deux siècles plus tôt.

Après ce faux départ, pour le spectacle, ce n'est que partie remise. Au fil des ans, le ballon rond fait de plus en plus tourner la tête des Russes et devient le sport le plus populaire du pays. Il a fallu le temps de l'apprivoiser, une ou deux décennies, pour qu'il pénètre même au cœur de la morne steppe russe, quitte les rivages du Golfe de Finlande et roule jusqu'à la vieille Moscou dont les « ding dong » des clochers à bulbe, ces turbans qui coiffent les églises, seront bientôt couverts par les rythmes saccadés de la modernité.

L'arrivée du football au cœur de l'empire des Slaves est signalée dans un article de 1902 du journal Sport, signé avec l'ironie hautaine d'une plume pétersbourgeoise: « Il y a une nouvelle intéressante. Un club de football a été établi à Moscou. C'est improbable, mais c'est un fait. »

De la famille Starostine

Moscou s'impose peu à peu comme la capitale du football russe, presque en même temps qu'elle devient la capitale politique d'un pays devenu l'URSS. C'est là, dans l'effervescence de ce début du XX siècle que Nikolaï Starostine et ses trois frères commencent à écrire leur légende de pères fondateurs du football national. Un statut que Nikolaï, le plus connu de la fratrie, doit moins au joueur qu'à l'imprésario débrouillard qu'il va se révéler être. Né dans le bouillonnement de cette nouvelle culture où le commerce se veut roi, puis aguerri dans un monde qui chavire avec la Première Guerre mondiale et l'arrivée au pouvoir des bolcheviques, Nikolaï ne pense qu'au ballon. Pour cela, il lui faut de l'argent, et donc organiser des matchs qui soient de véritables spectacles où le public s'arrache les billets. L'argent est le nerf de cette guerre symbolique qu'est le football.

La famille Starostine s'est installée à Moscou au début du XX siècle, venue de la province de Pskov, à 700 km, région où avait vu le jour quelque chose qui s'apparentait un peu au football et qui comptait parmi les rares jeux traditionnels pratiqués dans l'empire des Tsars, avec la luge ou la stenka, une sorte de boxe dérivée de pugilats autorisés certains jours de fêtes. L'histoire des Starostine est celle d'une famille emportée dans cette vaste migration qui charrie des millions de moujiks (paysans) et autres ruraux vers les centres en cours d'industrialisation. Ils importent la campagne à Moscou, les étals de fruits et légumes installés sous les murs du Kremlin, grossières toiles accrochées à des perches en bois mal équarries, le marché « tolkutchka » (« marché à la friperie ») qui importune les bourgeois avec sa foule mal rasée, mal chaussée, mal lavée.

Là, le père de la fratrie fait profession de guide de chasse ... pour les riches. Voilà qui place les Starostine au cœur des bouleversements sociaux en cours, entre la bourgeoisie bourgeonnante, qui lui achète des parties de chasse une fois ses capitaux bien placés, et la classe ouvrière naissante, dont les Starostine sont proches, et qui, dans les gigantesques usines textiles Prokhorov ou les ateliers de tissu imprimé Tsindel, découvre les horaires de travail, limités à 11 heures et demie par jour par une loi de 1897, ainsi que l'alternance du labeur et du repos, la vie citadine et ses modes.

À Moscou, la famille s'installe sur les bords de la Presnia, petit affluent de la Moskova. C'est là que s'épanouit la fratrie. Nikolaï, Alexandre, Andreï et Piotr, nés selon leurs dires entre 1902 et 1909, sont quatre fous de foot doués d'un sens inné du commerce et du spectacle, humé dans l'air du temps. Nikolaï, par exemple, comprend le premier combien ce sport aurait à gagner en se créant des « stars », des vedettes qu'on fabrique par tous les moyens modernes de la publicité. Leurs deux sœurs aussi sont gagnées par la passion du sport, le tennis notamment. C'est à partir de ce quartier rebaptisé Krasnaïa Presnia, Presnia rouge, après la révolution, et qui compte aujourd'hui parmi les plus prestigieux de la capitale russe, qu'ils jettent les bases de ce qui deviendra le légendaire Spartak de Moscou.

À cette époque, le quartier Presnienskii a des airs de grand village construit à la hâte. Les trois quarts des habitants ont tout juste quitté leur « mir », la communauté paysanne russe réunie autour de l'aristocrate et du pope, souvent plus brutaux que bons pères. Autour des usines récemment construites, comme la sucrerie Danilovskii, la confiserie Tilmans ou les tabacs Doukat, des baraquements en bois s'agglutinent le long des rues poussiéreuses l'été, gelées l'hiver, terriblement boueuses le reste du temps. Les Starostine sont bien logés, grâce à la « Société de chasse impériale », l'employeur de leur père Piotr et de leur oncle Dimitri. La famille jouit d'une maison confortable sise au 46 Val Presnienskii Kammer-Kollejskii, non loin de l'infâme Goriouchka, un terrain vague où règnent les malfrats à l'improbable dentition et aux tatouages arborés avec fierté après le rituel passage en prison. Le gang Shirokovka a la haute main sur la prostitution, le commerce de tord-boyaux, le jeu, la revente des larcins ...

« À ce que mon père me racontait, sa vie d'enfant était curieuse, comme une mosaïque où il passait ses journées avec les fils d'ouvriers, sans parler des bandits et des petites frappes qu'il valait mieux ne pas trop croiser, et où le soir il dînait avec des aristocrates et des bons bourgeois qui revenaient d'une partie de chasse avec mon grand-père. Des repas copieux que les fils de prolétaires du voisinage ne pouvaient même pas imaginer », raconte Elena, la fille de Nikolaï Starostine. Tous ces gens ont peu de choses en commun, se croisent peu, sauf parfois sur les terrains de football.

À l'époque où Nikolaï et ses frères entrent dans l'adolescence, le football a pris un tour organisé avec la création de championnats de villes: à SaintPétersbourg, Moscou, Odessa, Kharkov, Kiev ... En 1912 est fondée l'Union de football panrusse (VFS), qui va permettre la même année l'adhésion à la FIFA (Fédération internationale de football association). Une des premières décisions de la VFS est l'organisation de rencontres entre les vainqueurs des divers championnats de ville. Il s'agit de se préparer pour envoyer une équipe nationale suffisamment solide et expérimentée aux Jeux olympiques de 1912 à Stockholm. Pour cette première compétition internationale, il n'y a pas assez de joueurs russes. L'équipe est donc renforcée par deux Lettons, deux Allemands de Lettonie et deux Lituaniens. Mais cela n'y suffira pas, elle encaissera un mémorable 16 à 0 contre l'Allemagne.

À Moscou, un « championnat des datchi » voit le jour. La datcha est cette résidence secondaire construite à l'extérieur des villes, généralement en bois peint de couleurs vives. Une religion en Russie! Ce championnat réunit les villages dedatchi situés le long des voies ferrées récemment posées. Rien qu'à Moscou, on dénombre vingt-cinq clubs en 1913, une quarantaine en 1918. Un millier de maltchiki, de « gars », pratiquent le football à la veille de la révolution bolchevique de 1917. Le football est en passe de devenir un sport de masse, une culture de masse.

Sur le bord des terrains, les ouvriers, néocitadins, trépignent. Bientôt naîtra le « dikii futbol », le « football sauvage ». Le jeu y est rude, voire brutal. Il n'y a pas encore d'arbitres, qui bientôt disciplineront le jeu en pantalon long et chemise blanche. Mais l'administration tsariste répugne à accorder des espaces aux ouvriers pour qu'ils s'adonnent à leur nouvelle passion, craignant tout rassemblement populaire ailleurs que sur le parvis des églises ou à l'occasion de célébrations bien encadrées. La ferveur est cependant trop forte, ce spectacle s'empare de l'âme des Russes, les plus pauvres se contentent de terrains improvisés dans les cours d'immeubles (d'où l'appellation de « dvorovii futbol », « football de cours »), le long des voies de chemins de fer, et même dans l'enclos des cimetières. Les buts sont faits de troncs de bouleaux.

École anglaise

Ce sont les Anglais qui mettent le pied à l'étrier à ces sauvageons du football, malgré les réticences des aristocrates et des bourgeois qui estiment que « le sport est d'abord un plaisir coûteux et donc pas pour les ouvriers », comme l'affirme le journal K Sportu (Vers le Sport). Mais les frères Charnock, qui sont quatre eux aussi, ne voient pas les choses ainsi. Ce sont des entrepreneurs du Lancashire, un des berceaux du football britannique et donc mondial. Ils ont investi dans les usines de textile Morozov à OrekhovoZuyevo, au nord de Moscou. Dès 1894, ils organisent des matchs pour leurs cadres sur un terrain aménagé à quelques pas de leurs immenses ateliers en briques flambant neufs.

L'idée des Charnock, comme celle des autres patrons anglais sous l'emprise de l'idéologie hygiéniste en vogue partout en Europe, est que la pratique du football est bonne pour la santé de leurs employés et donc pour la productivité de l'usine. Le journal Moskovskie vedomosti (Les Nouvelles de Moscou) explique en effet, avec beaucoup de condescendance: « Le sport est le meilleur moyen d'occuper le temps libre, il attire les travailleurs et les cadres inférieurs loin des tavernes. » D'autres industriels, étrangers et russes, les imitent et aménagent des terrains de football dans l'enceinte de leurs usines. Les rares photos existantes montrent le soin apporté à l'aire de jeu de l'usine Morozov, le premier terrain digne de ce nom en Russie: buts bien bâtis, bientôt dotés de filets, surface plane, lignes soigneusement tracées à la chaux.

Puis, la compétition aidant, on s'aperçoit que le prolétaire russe a l'air d'aimer le football et que certains se débrouillent pas mal. Un journal local remarque que « les Moscovites montrent un grand intérêt pour ce nouveau passetemps. Deux cents à trois cents personnes se rassemblent pour regarder comment courir après la balle. Souvent, un des spectateurs s'invite dans le jeu ». Quinze ans plus tard, la plupart des usines de Moscou ont leur équipe composée tant d'ouvriers que de cadres. L'équipe de l'usine Morozov, la KSO (Klub Sporta Orekhovo) comprend quant à elle cinq Anglais et six Russes.

Tout le monde se met à baragouiner les mots d'anglais nécessaires, même quand le russe offre un équivalent: football, dribble, corner, penalty, offside (horsjeu), ou forge des mots sur la base de l'anglais, comme « shoutiu! », pour « shoote! ». On adopte le short, les chaussures montantes et surtout le maillot rayé comme c'est le cas pour le club des Charnock, à rayures bleues et blanches en souvenir des Blackburn Rovers de leur enfance.

Culture « fan »

Dans ce contexte de bouillonnement où le sport n'est qu'un ingrédient parmi d'autres, les parents Starostine rêvent d'ascension sociale pour leurs enfants et les envoient dans des écoles de commerce. La clientèle de chasseurs de Piotr et Dimitri n'est-elle pas elle-même faite de marchands, spéculateurs, industriels qui pourraient un jour employer leur progéniture? Nikolaï est donc inscrit à l'Académie commerciale Mansfield après avoir terminé ses quatre années d'école primaire. C'est là qu'à l'âge de 9 ans, il shoote dans la balle pour la première fois et ressent l'enivrante passion du onze, ce fabuleux collectif.

Sur le petit bout de terrain attenant à la maison des Starostine, la fratrie joue d'abord à deux contre deux, avant d'être rejointe par toute la marmaille des bords de la Presnia. « Apparemment, tout cela faisait un boucan infernal entre les gamins qui hurlaient, s'interpellaient, se disputaient aussi bien sûr, et la vingtaine de chiens de race que la clientèle de chasseurs des parents laissait en pension et qui s'étranglaient à force d'aboyer », rapporte Elena Starostina d'après les récits de son footballeur de père. Et dès qu'ils sont en âge d'affronter la rue, de parcourir des kilomètres à pied et de sauter dans les tramways électriques grinçants, avec des centaines puis bientôt des milliers d'autres « fanaty » (fans), les frères Starostine multiplient les héroïques traversées de Moscou pour aller admirer les équipes en vue, comme l'OLLS (La « Société des amateurs de ski »), le SKL (Cercle des Skieurs de Sokolniki), le MKLS (Club des amateurs de sport de Moscou), ou encore le ZKS (Club de sport Zamoskvoretchié) ...

Dans ses mémoires, Andreï Starostine, le troisième de la fratrie, se souvient de sa fascination pour le sigle « OLLS », quatre lettres qui lui font imaginer une entitémythique, irréelle. Longtemps il rêve du grand rectangle vert où les footballeurs de l'OLLS déploient vitesse et énergie, et se représente les gradins en bois où se sont entassés des centaines de spectateurs émerveillés. Alors, en 1916, âgé d'à peine 10 ans, il décide de traverser la grande ville et tous ses quartiers mal famés, notamment celui du marché Soukharevka qui n'avait rien à envier au terrain vague de Goriouchka, pour assister à un match de l'OLLS au stade du parc Sokolniki, au nord-est de Moscou. Des années plus tard, il parlera de cette aventure comme d'un « voyage au bout du monde » mais aussi comme d'un « rite de passage » entre l'univers des enfants et celui des adultes.

Dès le vendredi, les « fanaty » échangent des informations sur les rencontres du dimanche suivant. Parfois, une affiche collée sur les flancs du tramway ou des bus leur permet de choisir la rencontre à laquelle assister, après des délibérations passionnées. Les Starostine achètent régulièrement un des tout premiers journaux spécialisés, Russkii Sport (Le Sport russe), où chacun trouve son compte: les parents des articles sur les courses de chevaux, les garçons des pages entières sur ce fameux football. Dans les joyeuses tribunes, la fratrie s'époumone en chœur en scandant les surnoms des joueurs. Les sobriquets sont le privilège des stars, à l'image de Konstantin Jiboïedov, « Jibo », le redoutable attaquant de l'OLLS, de son coéquipier Evguéni Nikishine, qui est même honoré d'un surnom anglais, « Jack », ou de Piotr Issakov, du ZKS, surnommé « Le professeur ».

(Continues…)


Excerpted from "Futbol"
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Page de titre,
Copyright,
Des mêmes auteurs,
Note des auteurs,
Introduction,
1. "The show must go on",
2. Beria et les « Grands Uruguayens »,
3. « Tellement à apprendre du football bourgeois »,
4. Des paillettes au Goulag,
5. Le ballet du peuple,
6. Propagande contre propagande,
7. Le « match de la mort »,
8. Lev Yachine, l'araignée noire,
9. Tous devant la télé,
10. Science et football,
11. Le virage du Zénith,
12. Pacifier le Caucase,
Conclusion. Poutine, la puissance par le sport,
Remerciements,
Cahier photos,

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