La Fontaine Une école buissonnière
« Depuis l’enfance, il est notre ami. Et les animaux de ses  Fables, notre famille. Agneau, corbeau, loup, mouche,  grenouille, écrevisse ne nous ont plus jamais quittés.
Malicieuse et sage compagnie !
Mais que savons-nous de La Fontaine, sans doute le plus  grand poète de notre langue française ?
Voici une promenade au pays vrai d’un certain tout petit  Jean, né le 8 juillet 1621, dans la bonne ville de Château-Thierry, juste à l’entrée de la Champagne. Bientôt voici Paris,  joyeux Quartier latin et bons camarades : Boileau, Molière,  Racine.
Voici un protecteur, un trop brillant surintendant des  Finances, bientôt emprisonné. On ne fait pas sans risque  de l’ombre au Roi Soleil.
Voici un très cohérent mari : vite cocu et tranquille de l’être,  pourvu qu’on le laisse courir à sa guise.
Voici la pauvreté, malgré l’immense succès des Fables.
Et, peut-être pour le meilleur, voici des Contes. L’Éducation  nationale, qui n’aime pas rougir, interdisait de nous les  apprendre. On y rencontre trop de dames « gentilles de  corsage ».
Vous allez voir comme La Fontaine ressemble à la vie :  mi-fable, mi-conte.
Gravement coquine. »

E. O.
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La Fontaine Une école buissonnière
« Depuis l’enfance, il est notre ami. Et les animaux de ses  Fables, notre famille. Agneau, corbeau, loup, mouche,  grenouille, écrevisse ne nous ont plus jamais quittés.
Malicieuse et sage compagnie !
Mais que savons-nous de La Fontaine, sans doute le plus  grand poète de notre langue française ?
Voici une promenade au pays vrai d’un certain tout petit  Jean, né le 8 juillet 1621, dans la bonne ville de Château-Thierry, juste à l’entrée de la Champagne. Bientôt voici Paris,  joyeux Quartier latin et bons camarades : Boileau, Molière,  Racine.
Voici un protecteur, un trop brillant surintendant des  Finances, bientôt emprisonné. On ne fait pas sans risque  de l’ombre au Roi Soleil.
Voici un très cohérent mari : vite cocu et tranquille de l’être,  pourvu qu’on le laisse courir à sa guise.
Voici la pauvreté, malgré l’immense succès des Fables.
Et, peut-être pour le meilleur, voici des Contes. L’Éducation  nationale, qui n’aime pas rougir, interdisait de nous les  apprendre. On y rencontre trop de dames « gentilles de  corsage ».
Vous allez voir comme La Fontaine ressemble à la vie :  mi-fable, mi-conte.
Gravement coquine. »

E. O.
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La Fontaine Une école buissonnière

La Fontaine Une école buissonnière

by Erik Orsenna
La Fontaine Une école buissonnière

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Overview

« Depuis l’enfance, il est notre ami. Et les animaux de ses  Fables, notre famille. Agneau, corbeau, loup, mouche,  grenouille, écrevisse ne nous ont plus jamais quittés.
Malicieuse et sage compagnie !
Mais que savons-nous de La Fontaine, sans doute le plus  grand poète de notre langue française ?
Voici une promenade au pays vrai d’un certain tout petit  Jean, né le 8 juillet 1621, dans la bonne ville de Château-Thierry, juste à l’entrée de la Champagne. Bientôt voici Paris,  joyeux Quartier latin et bons camarades : Boileau, Molière,  Racine.
Voici un protecteur, un trop brillant surintendant des  Finances, bientôt emprisonné. On ne fait pas sans risque  de l’ombre au Roi Soleil.
Voici un très cohérent mari : vite cocu et tranquille de l’être,  pourvu qu’on le laisse courir à sa guise.
Voici la pauvreté, malgré l’immense succès des Fables.
Et, peut-être pour le meilleur, voici des Contes. L’Éducation  nationale, qui n’aime pas rougir, interdisait de nous les  apprendre. On y rencontre trop de dames « gentilles de  corsage ».
Vous allez voir comme La Fontaine ressemble à la vie :  mi-fable, mi-conte.
Gravement coquine. »

E. O.

Product Details

ISBN-13: 9782234082366
Publisher: Stock
Publication date: 08/16/2017
Series: La Bleue
Sold by: Hachette Digital, Inc.
Format: eBook
File size: 746 KB
Language: French

About the Author

Erik Orsenna est l’auteur de L’Exposition coloniale (prix Goncourt 1988), de Longtemps, de Madame Bâ et de Mali, ô Mali. Il a aussi écrit des petits précis de mondialisation, dont Cochons. Voyage aux pays du Vivant (2020), et des biographies, dont La Fontaine, une école buissonnière (2017), Beaumarchais, un aventurier de la liberté (2019) et La Passion de la fraternité, Beethoven (2021). On lui doit également cinq contes célébrant la langue française dont La grammaire est une chanson douce (2001).

Read an Excerpt

CHAPTER 1

Un petit Jean naît à Château-Thierry

Tous ceux qui ne sont attirés que par le bling-bling et les bulles ne verront dans Château-Thierry (aujourd'hui quatorze mille cent quatre-vingt-neuf habitants) que la porte de la Champagne.

Les autres, ceux qui savent le prix de la flânerie, goûteront fort ce méandre de la Marne, cet étagement de collines coiffées de forêts. Sous cette paix trompeuse de la géographie, ils entendront vite, pour peu qu'ils dressent l'oreille, les bruits de l'Histoire. La rivière à cet endroit devait jadis se franchir à gué. Puisque des hommes passent, il faut bien les nourrir, les héberger, les protéger (ou les rançonner). Ainsi, dès l'époque romaine, naît une ville. Plus tard, sur la hauteur principale, un château s'élèvera.Où, de siècle en siècle, se succéderont des puissants.

D'azur au château de cinq tours couvertes d'argent, ouvert, ajouré et maçonné de sable, accompagné de trois fleurs de lis d'or: le blason de la ville incite à rêver de chevalerie et de Table ronde.

La population vit, et vit bien, d'agriculture et de commerce. On ne sait pourquoi ni comment, une forte communauté juive s'y installe. AuXIII siècle, elle crée une école rabbinique qui devient vite célèbre. Samuel d'Évreux en est la figure la plus éclatante. On accourait de partout, et jusque de Tolède, pour entendre ses interprétations du Talmud.

En 1285, avec le comté de Champagne, Château-Thierry rejoint le domaine royal.

Durant la guerre de Cent Ans, le parti anglais occupe la ville. Et la dévaste. Qu'à Dieu grâces soient rendues, Jeanne d'Arc la libère en 1429.

Le temps passe.

Et voici 1621.

En cette année, la Chine s'est placée sous la tutelle du coq. Un peu partout dans le monde, les hommes se battent. Comme d'habitude. Les Mongols contre les Tibétains, les Bataves contre les Espagnols, les Polonais contre les Ottomans, les Suédois contre les Baltes, entre elles les tribus tout autour de Tombouctou ...

Les Français n'échappent pas à cette manie de la guerre perpétuelle. Sauf qu'ils y ont ajouté un piment de leur cru: ils n'aiment rien tant que se tuer entre eux. Malgré son jeune âge (vingt ans), Louis XIII, le roi, n'est pas le moins ardent. Il lance ses armées vers le sud de son pays avec mission d'y écraser, une bonne fois pour toutes, ceux qu'on appelle les « protestants ».

Pendant ce temps, les marchands hollandais prospèrent. Ils viennent de créer une compagnie commerciale, dite des « Indes occidentales ». Sur les côtes atlantiques, elle ouvre différents comptoirs, dont La Nouvelle-Amsterdam, qui deviendra New York.

1621.

L'année prochaine, Armand Jean du Plessis, seigneur de Richelieu, sera nommé cardinal et bientôt cumulera tous les pouvoirs.

1621.

À Anvers, Rubens achève son tableau La Chasse au lion, l'un de ses chefs-d'œuvre.

Et Pierre Gassendi, mathématicien, philosophe, théologien, astronome, continue de s'émerveiller devant la beauté du ciel: il vient d'expliquer l'origine des aurores boréales.

Pour ce qui concerne le climat, apprenez que l'hiver fut si rude en Provence, cette année-là, que les oliviers y gelèrent.

Le printemps finit par poindre. Puis commença l'été.

C'est alors qu'un beau jour, le huitième de juillet, un enfant choisit de naître.

Rue des Cordeliers.

Paris n'est pas loin de Château-Thierry: cent kilomètres, vers l'est. Cette distance, petite mais tout de même, aura son importance.

CHAPTER 2

La Fontaine, mais n'oublions pas Pidoux

Le père, qu'en ce jour il faut présumer heureux, se nomme Charles de La Fontaine. Le petit Jean est son premier enfant. Il est baptisé en l'église Saint-Crespin, lequel est patron des savetiers. Chez les La Fontaine, on est de bourgeoisie récente, à peine quatre générations, enrichies dans le commerce et notamment celui du drap. Ce début de fortune a permis au grand-père d'acquérir une charge, celle de « maître des Eaux et Forêts ». À ce titre, il surveille et contrôle un territoire à lui confié par le seigneur du lieu. Au fil du temps, les La Fontaine ont acheté des terres. Ils tirent de leurs fermes l'essentiel de leurs revenus. Une charge et des fermes: on n'est pas encore tout à fait noble, mais on s'en rapproche. Encore un effort, La Fontaine!

La mère, prénommée Françoise, mais d'abord née Pidoux, éveille plus notre intérêt. Dès le XIIIe siècle, sa famille n'a cessé d'occuper les plus hautes fonctions: banquiers de princes, évêques, prévôts des marchands ... Un Pidoux fut seigneur de Chaillot, un autre liquidateur des biens des Templiers. Habitant Paris, mais chassés par la guerre de Cent Ans, ils s'enfuient vers Poitiers où ils s'installent. Et, de mariage en mariage, ils continuent de tisser des liens utiles. On trouve des Pidoux partout: l'un est beau-frère du cardinal de Richelieu; un autre, parent de Bossuet; une autre encore, cousine de Racine ... N'oublions pas un Pidoux médecin du roi Henri III.

Les Pidoux ne sont pas que sérieux. La passion peut parfois les conduire à toutes les audaces et tous les sacrifices. Le jeune Loys, un des frères de Françoise, donc l'oncle direct de notre poète, achève ses études de médecine. Il a vingt-cinq ans. Un beau jour, il rencontre une quasi-vieille (trente ans), mais encore fille, Isabelle de Richelieu. Coup de foudre. Les familles s'opposant au mariage, Loys enlève Isabelle. Ils vivront à Dole, capitale d'une Franche-Comté pas encore française. Toujours fous d'amour, mais désargentés: la parentèle a profité de leur fuite pour faire main basse sur leurs biens.

Un autre Pidoux a connu la gloire pour une raison qui tient à l'hydrologie en même temps qu'à l'hygiène. Il se passionne pour les eaux thermales, comparant sans fin les vertus d'une cure à Pougues, à Spa et à Bourbon-l'Archambault. Cette recherche, si savante et méritoire fût-elle, serait restée sans écho s'il n'y avait ajouté une suggestion: pourquoi ne pas imiter une pratique italienne encore inconnue chez nous? Rien de plus simple: il suffit de se renverser de l'eau sur le corps, au lieu de toujours se plonger dans des bains. L'avantage est double: gain de temps et moindre quantité d'eau requise.

Telle est la raison pour laquelle on peut considérer ce Jean Pidoux comme l'inventeur de la douche en France.

Sur le berceau du petit Jean, force est de constater que nombre de divinités déjà se penchent. Certaines viennent de la forêt, dont un grand-père est « maître ». Les plus nombreuses ont l'eau pour demeure. Et d'autres savent naviguer entre les humains pour en tirer les plus grands avantages. On verra que si les deux premiers héritages, l'amitié des arbres et la complicité des ondes, ont été bien transmis, le talent de l'habileté sociale et de la courtisanerie a dû se perdre en chemin. Les gènes des La Fontaine, gens de la campagne, l'ont sans doute emporté sur ceux des très urbains Pidoux. Même si notre poète n'a jamais pu se passer des frénésies parisiennes.

Autrefois le Rat de ville Invita le Rat des champs, D'une façon fort civile, À des reliefs d'ortolans.

Entre la ville et les champs, ce balancement sera celui de toute une vie. Avançons.

Pour l'heure, 1623.

Molière est né l'année précédente.

Notre petit Jean vient de souffler ses deux bougies. Et si sa famille l'emmène le dimanche en promenade dans la campagne voisine, ses premiers pas trébuchent sur les pavés de Château-Thierry.

Honte sur moi, académicien donc cofabricant de dictionnaire, je n'ai appris que récemment le mot qui désigne l'habitant d'une ville: le gentilé. Comment appelle-t- on celui qui loge à Château-Thierry, ou, pour ce qui nous concerne: quel est le gentilé de Jean de La Fontaine? Castelthéodoricien.

On imagine le rire du fabuliste ainsi lourdement affublé.

CHAPTER 3

Fermes

Que reste-t-il des anciens paysages?

Le long de la Marne, au sortir de Château-Thierry, les constructions se succèdent. L'habituel tapis de pavillons. Mais vers l'ouest, soudain, une usine. Croyez bien que je m'étonne: sa cheminée fume encore! Rareté, en France, de nos jours! On me dit que du papier y est recyclé. Bonne nouvelle! De l'autre côté, vers Reims, la biscuiterie Belin n'a pas eu cette chance. Plus de mille personnes y travaillaient. Nous leur devons quelques-unes des plus aimées gourmandises de notre enfance, à commencer par nos chers Pépito. L'activité s'en est allée vers des pays aux très bas salaires. La municipalité a racheté les anciens silos. Les réservoirs de farine sont devenus centre culturel. Quoi de plus logique? Nourriture du corps, ingrédients de l'âme, la vie continue. On y défend le théâtre et la poésie. Rimbaud fournit la lumière. A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu ...

Plus loin, le petit Jean, continuant sa promenade, rêverait aujourd'hui devant les rhodos et les géraniums du Jardiland local. Il pourrait aussi se choisir le plus doux des matelas à Nation Literie (en direct du fabricant).

Et impossible d'oublier que nous venons de pénétrer dans la patrie du champagne: les vignes nous cernent. Quant aux bois, il n'en demeure plus guère. Arrachées, les haies. Brûlées, les clôtures. La Grande (agri) Culture n'aime pas les entraves. Une fois sur le plateau, vous ne voyez que l'immense étendue des champs. La vue s'y perd. On me dit que bientôt des éoliennes y viendront tournoyer.

Alors, où sont les fermes, les fameuses fermes, les paradis de l'enfance fontainière?

Thomas Morel, le tout jeune et tout récent conservateur du musée, m'en a fourni la liste.

J'ai suivi le circuit.

Dans la plupart, il faut avoir auparavant largement « champagné » (en dialecte local: enchaîner les coupes), puis convoquer toutes les ressources de son imagination pour retrouver des traces du garçonnet, poète en herbe. Ce ne sont que longs bâtiments plus ou moins reconstruits. Seules les mares voisines vous permettent de saluer un héron au long bec emmanché d'un long cou. Peu de chances pour vous, malgré l'onde transparente, d'apercevoir cette commère de carpe y faisant mille tours avec le brochet son compère.

Ces fermes, La Fontaine dut, forcé par la nécessité, les vendre toutes. Dans chacune, combien de temps est-il vraiment venu? Ceux qui veulent des faits, rien que des faits et des dates, prendront langue avec le très savant Thomas.

Sur la commune de Blesmes, allez saluer la ferme des Aulnes bouillants. Comment expliquer ce nom magnifique? Par le bruit que fait le vent, terrible sur ces plaines, quand il agite les feuilles?

J'avoue ma préférence pour La Tuéterie, aussi nommée Ferme Renard. Une tuéterie serait l'endroit où l'on élevait des cochons. Pour la faire vivre, et ainsi la sauver, le nouveau propriétaire l'a changée en chambres d'hôtes. Et pour financer les travaux, Jean-Jacques Riera (je vous jure, c'est son vrai nom) a gardé son emploi de ... directeur de la sécurité à ... la Française des Jeux. Je vous recommande la visite, notamment le dessus du four à pain. Il paraît que le poète profitait de sa chaleur pour y « faire leur affaire » aux soubrettes plus ou moins consentantes. Légende ou vérité? Si vous en avez le loisir, et l'intérêt, menez l'enquête! En attendant, champagnez!

Et reprenons notre récit.

CHAPTER 4

L'école buissonnière

On ne sait quelle école primaire fréquenta La Fontaine.

La seule source est celle des frères Maucroix, venus de Noyon, petite ville voisine de Château-Thierry, pour y apprendre des mêmes maîtres.

François de Maucroix, le second, deviendra l'intime, le complice, le compagnon, le confident, l'autre soi-même. C'est l'aîné Louis qui décrit ainsi le petit Jean: « La Fontaine, bon garçon, fort sage et fort modeste. »

On l'imagine loin du premier rang, plutôt réfugié vers le fond de la classe, non pour se mêler aux cancres, non pour chahuter ou bavasser, mais par seul souci qu'on le laisse en paix. On peut le voir aussi sur ces places qui jouxtent les fenêtres. Les heures y passent plus vite: sans même faire l'effort de se pencher, on suit la course des nuages dans le ciel, le vol des oiseaux, les feuilles qui frémissent au faîte du marronnier. Pas besoin d'attendre la fin des cours pour commencer sa récréation.

On peut penser qu'il tend l'oreille chaque fois qu'il s'agit de l'Histoire: ces récits de rois, de reines, de gloire et de drames ne peuvent que l'enchanter. Il est à parier que l'étude du latin, loin de lui répugner, l'attire. Cette langue, entendue aussi à la messe, porte une double part de mystère et de proximité. On sent bien que notre français vient d'elle. Et, plus encore que les mots, l'accord entre ces mots, cette logique de la phrase, cette grille souterraine, invisible et pourtant si présente et qui a pour nom grammaire.

Et puis le latin, une fois qu'on y acquiert une certaine maîtrise, le latin, c'est Virgile. Traduire Virgile, c'est, mot après mot, voir surgir la Nature. Laquelle est, tout compte fait, la première école. Traduire, c'est explorer. Apprendre à regarder, à comparer. À rêver précis. Rêver, qui est tout, tout sauf rêvasser.

Tes vers sont pour nous, divin poète, comme un somme sur le gazon pour qui est harassé; comme, en pleine chaleur, le plaisir d'étancher sa soif à l'eau d'un ruisseau bondissant. [...] Une allègre jouissance possède les bois et toute la campagne [...]. Le loup ne machine plus d'embûches contre le bétail, ni les rets de pièges pour les cerfs. (Extrait des Bucoliques.)

Virgile.

En lui, tout habitant de la France des années 1630-1650 peut se retrouver. À l'époque où vivait le poète (70 à 19 avant Jésus-Christ), l'Italie se déchirait elle aussi dans d'incessantes guerres civiles. Loin de la folie des hommes, la Nature était havre de paix.

Comme nous savons, la famille La Fontaine a des fermes et des bois. On s'y rend tout le temps, pour déjeuner, pour fêter, pour dormir, pour un rien, les dimanches, en vacances. La vie des La Fontaine est buissonnière. L'école et la vie communiquent, et sont toutes deux buissonnières. « L'école buissonnière, dit le dictionnaire, est une école clandestine qui, au Moyen Âge, se tenait en pleins champs. » Clandestin, clandestine est aussi un mot pertinent pour parler de La Fontaine. Il sera toujours passager clandestin de sa vie. Pas très sûr de lui-même, incertain de sa réalité, doutant de vivre la vie prévue pour lui. Flottant. Comme s'il fallait s'oublier pour parler à tous et à chacun, surtout ne pas s'inquiéter de savoir qui l'on est. Le génie est un passager clandestin. Ou, si vous préférez, buissonnier. Et buissonnière sera l'école que nous fréquenterons en fréquentant La Fontaine.

CHAPTER 5

Un prêtre vite défroqué

Prêtre, La Fontaine?

Allons donc!

Personne ne nous semble plus éloigné de la soutane que ce coureur de jupons. Plus étranger aux charges quotidiennes d'une paroisse que ce rêveur permanent, pour ne pas dire gros paresseux. Plus rétif aux dogmes de la religion que cet épris de liberté. Personne moins mystique, moins préoccupé de salut éternel que ce joyeux païen, d'abord jouisseur du présent.

Et pourtant, fin avril 1641, deux mois avant ses vingt ans, il entre au couvent, oui, couvent, vous avez bien lu. Son frère Claude vient l'y rejoindre après l'été.

Fondée par un Florentin, Philippe Néri, plus tard canonisé, la congrégation de l'Oratoire réservait, comme son nom l'indique, une grande part à la prière (orare signifie prier en latin), mais aussi à l'enseignement. C'est le cardinal Pierre de Bérulle qui, en 1611, l'avait installé en France pour « élever le niveau spirituel et moral du clergé ». Son établissement principal se trouvait dans le cœur de Paris, 145, rue Saint-Honoré, où vous pouvez encore le voir. C'est aujourd'hui, je frissonne à le dire, un temple ... protestant.

Dans la prêtrise, La Fontaine voyait sans doute un métier paisible et propice à la rêverie. Hélas, il fallait d'abord apprendre un minimum de théologie. Cette matière le rebuta trop pour qu'il s'obstine longtemps. Tandis que ses professeurs débattaient de saint Augustin, lui savourait L'Astrée, un interminable roman amoureux et botanique, nous en reparlerons.

Il comprend, ou on lui fait comprendre, que la vocation ecclésiastique n'est pas la sienne.

Au revoir, les Oratoriens. Bonjour, les études de droit! À nous, surtout, les gaillardises du Quartier latin.

Prêtre, La Fontaine?

Eh oui, la vérité oblige à dire, contre toute évidence, qu'il faillit embrasser ce ministère-là.

Ainsi va la vie, comme un fleuve, de détour en méandre, mais, à la différence de l'eau qui coule, revenant souvent à sa source. On verra notre débauché, vers sa fin, se plonger dans la piété. Seuls s'en étonneront ceux qui auront oublié l'épisode oratorien. Ouvrez l'âme de La Fontaine, vous y trouverez, bien cachés, de vrais élans mystiques. Notre bonhomme Jean n'est pas si simple qu'il a voulu paraître.

Quand vous voulez de la vérité, allez recueillir les propos des crapules. La morale ne les embarrassant pas, ils n'ont pas leur pareil pour toucher juste. Ainsi Talleyrand, la plus belle des canailles. « Méfiez-vous du premier mouvement, aimait-il à dire, c'est le bon. » Avec sa variante, délicieuse: « Méfiez-vous du premier mouvement, il est toujours généreux. »

(Continues…)



Excerpted from "La Fontaine"
by .
Copyright © 2017 Éditions Stock.
Excerpted by permission of Stock.
All rights reserved. No part of this excerpt may be reproduced or reprinted without permission in writing from the publisher.
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Table of Contents

Couverture,
Page de titre,
Copyright,
Dédicace,
1. Un petit Jean naît à Château-Thierry,
2. La Fontaine, mais n'oublions pas Pidoux,
3. Fermes,
4. L'école buissonnière,
5. Un prêtre vite défroqué,
6. Paris et l'amitié pour royaumes,
7. L'Astrée,
8. Un mariage peut-il contenter tout le monde?,
9. Maître des Eaux et Forêts,
10. Histoire d'une abbesse rémoise,
11. Deux vies,
12. Éloge du cocuage,
13. Un cadeau pour le plus séduisant des ministres,
14. Un songe qui fait bâiller,
15. La fête avant la foudre,
16. La jalousie du Soleil,
17. Honte à d'Artagnan,
18. Courage de la fidélité,
19. Le dédain des voyages,
20. La machine à gloire,
21. Bienvenue en Coquinerie,
22. Le dommage d'un nez trop long,
23. Mauvaise affaire, tristes chicanes,
24. Enfin, les fables,
25. Animaux,
26. Amour des eaux,
27. Un trésor parmi tant d'autres,
28. Deux cent quarante-trois!,
29. Couvrez ce travail que je ne saurais voir,
30. Socrate, la musique et la poésie,
31. Port-Royal,
32. La volupté de tout,
33. Une fée nommée Sablière,
34. Ce qu'il faut avaler de couleuvres pour devenir académicien,
35. Gentille de corsage,
36. Racine,
37. Honte à l'abbé Pouget,
38. Une confession,
39. Dénuement,
40. Les lunettes,
41. Pénitence,
42. Merci,
Fables choisies,
Remerciements,
Bibliographie,
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